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SCENE MAGAZINE Audace

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Le mois de mars au Forum de Meyrin sera placé sous le thème, souvent occulté, de la Mort. Dernier thème de la saison, la Mort sera abordée à travers différentes lorgnettes : la musique, le théâtre bouffe, les mots.

A-t-on une explication scientifique pour ce grand passage ou doiton se satisfaire de croyances ? Le Forum de Meyrin a eu l'audace d'étudier, à travers des spectacles variés, cette thématique délicate et passionnante dans le troisième volet de la saison, intitulé Infinita ou la Mort tutoyée.

Musique et film
Le mars 4 mars accueillera les sœurs Dördüncü, pianistes d'origine turque établies à Genève, réputées pour la complicité de leur jeu et leur connaissance du répertoire français. Première œuvre de la soirée, La Danse macabre de Camille Saint-Saëns (1835-1921) évoque le bal de Satan et une ronde nocturne que hante la Mort. Suivi par En Blanc et Noir de Claude Debussy (1862-1918), aux rythmes subtils que les deux sœurs mettront en valeur, suivi de Petrouchka, de Igor Stravinsky (1882-1971); ce conte folklorique se termine par la confrontation d'un Maure et de Petrouchka, deux poupées d'un vieux mage qui se disputent au sujet d'une troisième marionnette, celle de la Ballerine ; le Maure finit par tuer Petrouchka. Seul compositeur encore vivant de ce programme, Steve Reich (1936-) est connu pour sa contribution à l'éclosion du courant minimaliste et répétitif américain; il fait aussi figure de précurseur du sampling. Piano phase (1967) est l'une de ses pièces déterminantes. Cette soirée s'achèvera avec La Valse, de Maurice Ravel (1875-1937), dont l'œuvre, caractérisée par le raffinement mélodique, le goût pour l'exotisme, la recherche de la perfection formelle, sera marquée par le traumatisme vécu par le compositeur lors de la Grande Guerre d'une part, et la perte de samère d'autre part.

A peine plus tard, le jeudi 6 et le vendredi 7 février, la Grande Guerre donnera vie aux journaux intimes et aux lettres authentiques parvenues des tranchées de 14-18, par le biais d'un film d'animation réalisé en direct, par les réalisateurs rotterdamois de la Compagnie Hotel Modern, composée d'acteurs, de réalisateurs et de plasticiens. Là où le cinéma a recours à d'o-néreux effets spéciaux, ces artistes se contentent d'allumettes, de bouquets de persil, de clous rouillés et de soldats de plomb. La pluie sort d'un vaporisateur, un bec à gaz simule les bom-bardements. Les séquences sont filmées à l'aide de caméras miniatures, puis montées en direct et projetées «grandeur nature». Le résultat est saisissant de véracité Mélangeant arts plastiques, théâtre d'objets, travail de bruitage et cinéma, cette troupe hollandaise fait montre de créativité et d'ingéniosité.

Philosophie et burlesque
Après l'insolite et l'ingénieux, il sera temps d'aborder la mort de manière plus philosophique, par une rencontre avec Marie de Hennezel, psychologue clinique et psychanalyste qui a travaillé auprès de grands psychotiques et dans une unité de soins palliatifs sur la proposition de François Mitterand en 1986.

Quelques mois avant sa mort, en 1995, il signera même la préface du plus fameux ouvrage de notre invitée: La Mort intime. Lors de cette soirée, l'invitée du Forum évoquera l'expérience acquise dans l'unité de soins palliatifs citée plus haut; elle reviendra peut-être aussi sur les moments forts vécus (de 1990 à 1992) au sein de l'unité de soins Sida de l'hôpital Notre-Dame de Bon Secours. C'est l'époque noire du virus, qui voit de nombreux jeunes gens mourir dans les hôpitaux, remettant en question médecins et soignants démunis

Place à nouveau au burlesque avec Art of dying par un duo détonant; le clown italien Paolo Nani et le mime islandais Kristjân Ingimarsson, installés au Danemark, sont duettistes à cette occasion. Ils ont, chacun de leur côté, poursuivi une carrière de soliste inspiré.

Dans les coulisses d'un théâtre se retrouvent deux clowns, proches depuis leur enfance et non loin du sommet de leur carrière. L'un deux, bientôt, apprend qu'il est atteint d'un mal incurable. Leurs routines quotidiennes, leurs pensées et naturellement leur spectacle subissent l'influence de cette nouvelle donne jusqu'au jour où ils parviennent à apprivoiser la mort. Dans la grande tradition des buffoni italiens, ce duo dégage une énergie jubilatoire et communicative, qui saura être une réelle thérapie pour ceux qui redoutent de parler de la grande Faucheuse.

Le mardi 18 mars, le Anouar Brahem Trio fera un clin d'oeil au concert des sœurs Dôrdùncù. Formé aux codes de la musique savante arabe, Anouar Brahem perfectionne sa pratique de l'oud (le luth traditionnel) au travers d'autres expressions musicales de la Méditerranée, de l'Iran et de l'Inde. En 1981, il collabore avec Maurice Béjart pour son ballet Thalassa Mare Nostrum. Il enregistre ensuite un album avec le saxophoniste norvégien Yan Garbarek et poursuit - avec Le Voyage de Sahar - son chemin personnel. Outre les influences arabisantes, on peut percevoir chez Brahem des influences de Ravel et Debussy, reconnaître des effluves de tango, entendre des échos de boîtes à musique ou de jazz, symbolisant un syncrétisme harmonieux et pacifique entre divers horizons qui rappelle avec nostalgie l'Andalousie d'Averroès.

Transition paisible et poétique pour quitter l'hiver et envisager le retour du printemps !

Firouz-Elisabeth Pillet